HISTORIQUE DE LA PROFESSION

 

 ecusson

Comme toute manifestation de l'activité humaine, les métiers ont évolué dans le temps au fur et à mesure des acquisitions de la technique tant dans le domaine de l'outillage que dans celui de la matière d'oeuvre et, par voie de conséquence, dans celui des modes de construction.

 Le travail du bois n'a pas échappé à cette évolution.

 Si en ce qui concerne la matière d'oeuvre, on en est longtemps resté au produit végétal fourni par les arbres des forêts, les perfectionnements des outils ont modifié profondément les procédés d’exécution et permis de nouvelles applications d'où des spécialités diverses conduisant à des familles distinctes de travailleurs.

  Activité des plus anciennes, le travail du bois, à l'origine, de par l'indigence des moyens de débit, s'est d'abord cantonné dans la construction de gros oeuvres, le bois y prenant place sous forme de pièces massives. Les praticiens ont reçu le nom de charpentiers, leur art : la charpenterie.

 Il est donc normal que ce soit aux charpentiers que l'on doive les premiers meubles faits de bois épais, sommairement travaillés et assemblés, dont le Moyen-Age nous a légué quelques spécimens.

 Le «Livre des Métiers» est un des premiers documents qui nous renseigne sur l'organisation du travail du milieu du .XIII° siècle.

Son auteur, Èmile Boileau, prévôt de Paris sous Saint-Louis, en a fait le code des usages et règlements corporatifs de la plupart des métiers parisiens d'alors.

On trouve notamment dans ce document l'énumération des différents spécialistes dans le travail du bois :

- concernant la construction des maisons

- les charpentiers grossiers qui exécutent les ossatures ;

- les huissiers, spécialistes des portes et des fenêtres ;

- les couvreurs, revêtant les toitures de tuiles de bois ;

- les lambrisseurs, décorant murs intérieurs et plafonds ;

- concernant les objets usuels ménagers :

- les huchiers, fabriquant les meubles ;

- les tourneurs, façonnant au tour les pièces de révolution ;

- les tonneliers, spécialistes des récipients (tonneaux, cuviers, bailles ou baquets...) ;

- concernant les véhicules et le travail de la terre :

- les charrons, fabriquant chariots, charrettes, instruments aratoires ;

- les cochetiers, construisant les bâteaux appelés à l'époque coches d'eau.

Ces différentes spécialités constituaient une seule et même corporation : celle des charpentiers.

En décembre 1290 un autre prévôt de Paris, Jean de Montigny, instaure par des statuts en six articles une communauté de travailleurs du bois distincte de celle des charpentiers : les huchiers.

Le huchier fabriquait non seulement les huches, qui étaient des coffres de rangement, mais aussi d'autres meubles : tables, bancs..., et en général tous travaux en bois pour l'aménagement intérieur et extérieur de l'habitation. Il s'adonnait également à la sculpture pour la décoration de ses ouvrages. Il était donc à la fois menuisier et sculpteur sur bois au sens que nous donnons aujourd'hui à ces termes.

Par ordonnance de 1371 Hugues d'Aubriot, également prévôt de Paris, délivre des statuts confirmés par l'arrêt du 4 septembre 1382, où l’appellation de Huchier-Menuisier apparaît. C'est cette ordonnance qui impose, pour l'accès à la maîtrise, l'épreuve du chef-d'oeuvre à tout candidat à l'état de maître.

On y trouve aussi l'énumération des ouvrages entrant dans le cadre de l'activité de la corporation tant en menuiserie de bâtiment qu'en pièces de mobilier proprement dites.

Au XVe siècle on distinguait chez les charpentiers :

- les charpentiers de grande cognée tirant leur nom de la cognée hache, leur principal outil de façonnage, spécialisés dans des travaux de charpente c'est à dire dans l'exécution de l'ossature des habitations mettant en oeuvre des pièces de grosse section ;

- les charpentiers de petite cognée s'adonnant à des travaux plus menus que les précédents et qui, de ce fait, étaient également nommés huchiers menuisiers.

Le 24 juin 1467 Louis XI délivre aux huchiers des lettres patentes dans lesquelles il est stipulé que chaque maître doit apposer sur ses ouvrages une marque distinctive, sorte de signature.

C'est dans une ordonnance du prévôt de Paris, Jacques d'Estouville, que, dans le dernier quart du quinzième siècle, apparaît pour la première fois, utilisée sans autre épithète, l'appellation de «menuisier» donnée à ceux qui se consacraient à la fabrication des meubles et à l'aménagement intérieur de l'habitation.

C'est à partir du moment où la corporation des menuisiers fut distincte de celle des charpentiers, que la profession prit un essor considérable. On lui doit, au cours des XIV° et XV° siècles, la réalisation d'un grand nombre d'ouvrages, dont certains, parvenus jusqu'à nous, outre l'habileté des exécutants dont ils font preuve, témoignent d'une véritable science du tracé et d'une connaissance approfondie du bois, de ses propriétés et de son comportement dans ses différentes applications.

La plupart des assemblages utilisés de nos jours étaient connus au XV° siècle.

On ne s'étonnera pas de ce savoir-faire, notamment en ce qui concerne le tracé, si l'on se rapporte à celui de leurs contemporains bâtisseurs de cathédrales, lequel force encore de nos jours notre admiration, et dont la connaissance du «trait» dans le travail de la pierre avait atteint un haut degré de perfection.

En avril 1580,. Henri III confirme le statut des menuisiers lequel donnait une description des ouvrages plus complète que les précédentes tant par le nombre de ces derniers que par celui des détails techniques s'y rapportant. Le meuble rustique moyenâgeux n'avait pas seulement destination de volume de rangement dans l'habitation ; il servait également à contenir les objets que son propriétaire emportait avec lui dans ses déplacements.

Cette pratique tomba en désuétude à la période des temps modernes au XVI° siècle. Le mobilier devint plus sédentaire ; il connut alors une facture plus délicate, plus luxueuse également, agrémentée de sculptures.

A cette époque la spécialisation est nette : on distingue :

- le menuisier en bâtiment spécialiste des applications du bois à l'aménagement des habitations: huisseries, parquets, lambris divers...

- le menuisier en meubles.

Dès le XVII° siècle, une évolution se produit consécutive à la mise à disposition des exécutants de matières d'oeuvre autres que les bois de pays dont ils disposaient jusqu'alors.

Au chêne et au noyer, qui étaient les bois d'oeuvre traditionnels du meuble, s'ajoutent, conséquence du développement du transport maritime et du commerce extérieur, les bois exotiques dont notamment l'ébène.

Grâce à ces bois, à la richesse de leurs coloris et à la finesse de leur texture, des effets décoratifs nouveaux résultant de l'agencement d'éléments simples ont été possibles, diminuant quelque peu l'importance que connaissait jusqu'alors la sculpture dans la décoration des meubles.

C'est également du travail de l'ébène que naît la désignation de ceux qui le travaillaient sous le nom de «Menuisiers en ébène», laquelle s'est rapidement simplifiée en «Ebénistes» tout court. En 1743, au temps de Colbert, un statut corporatif définit la spécialité d'ébéniste comme une des branches de la profession de menuisier se consacrant aux travaux de placage et de marqueterie, la distinguant de la profession de menuisier d'assemblage mettant en oeuvre le bois massif.

En 1744, les statuts de la corporation des menuisiers, confirmés par Louis XV, ne comportaient pas moins de 105 articles. Ils officialisaient la communauté des «Maîtres menuisiers ébénistes» et rappelaient l'obligation pour ceux-ci de marquer leurs ouvrages. A ce même sujet, l'article 36 de l'ordonnance de 1751 précise que chaque maître ébéniste est tenu d'avoir une marque particulière.

écusson

Jeton de la Communauté des Menuisiers Ebénistes (l 748)

 

Cette prescription a été assez fidèlement observée par les maîtres ébénistes de la fin du règne de Louis XV. Précisons que ces marques particulières se complètent parfois des initiales J M E qui sont celles de Jurés Menuisiers Ebénistes.

Le 12 mars 1776, suppression des corporations par ordonnance de Louis XVI sous l'instigation de son ministre Turgot, puis rétablissement des dites à Paris par édit du 24 août de la même année.

Considéré comme privilège et entrave à la liberté individuelle, le principe des maîtrises se voit condamné lors de la nuit du 4 août 1789, condamnation rendue effective par le décret d'application de la loi du 27 juin 1791 votée par l'Assemblée Constituante.

Jusqu'à 1791, les statuts corporatifs qui définissaient des règles étroites garantes de la qualité d'exécution et à l'observation desquelles les jurandes, c'est-à-dire le groupement des membres de la corporation choisis pour en défendre les intérêts, veillaient scrupuleusement, avaient maintenu une discipline salutaire dans l'exercice des métiers.

La suppression des corporations, en permettant à quiconque de s'installer fabricant ou marchand, aurait pu avoir une influence néfaste quant à la qualité des produits. Cependant, jusqu'à la fin de la période révolutionnaire, en vertu sans doute des principes qui avaient été inculqués, on ne constate pas de baisse sensible de qualité en ébénisterie.

Par contre, l'apparition des machines de façonnage dans les ateliers à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle apporte des modifications profondes dans les procédés d'exécution et les méthodes de travail.

La machine, progressivement aux fins de réduction des coûts, se substitue à l'ouvrier dans les opérations de façonnage.

La fabrication s'organise pour la production de masse et naît alors le travail en série.

L'ouvrier qualifié polyvalent à la formation longue est remplacé, pour le service des machines, par l'ouvrier spécialisé formé sommairement pour l'exécution de quelques gestes qu'il doit répéter à longueur de temps. C'est alors le travail parcellaire où chacun n'apporte qu'une faible part à un tout, né présentant qu'un intérêt tout relatif et peu propre à stimuler l'amour du travail.

La contrepartie de cette désaffection regrettable est l'abaissement du prix de revient d'une production de moindre qualité certes, mais accessible à un plus grand nombre, permettant ainsi l'acquisition de biens à certains qui sans cela n'auraient pu y prétendre.

Est-ce à dire que c'est la mort du métier d'art qu'est le métier d'ébéniste ?

Nous ne le croyons pas.

Il y a encore place pour une production de qualité, requérant les qualités traditionnelles d'habileté et de savoir-faire de leurs exécutants.

A ceux-ci également, échoit le soin de maintenir en bon état, envers et contre les nuisances auxquelles il est exposé, le patrimoine légué par leurs devanciers.

Si la corporation des ébénistes a disparu, il reste des traditions desquelles ne se départent pas ceux-là même qui ont eu souci d'acquérir habileté et connaissances nécessaires à l'exercice d'un métier noble et disposés à les transmettre à d'autres animés comme eux du souci de bien faire, qui trouvent, au contact familier des belles oeuvres qu'ils réalisent ou qu'ils côtoient, des sources de satisfactions esthétiques dans l'exercice de leur travail de chaque jour.

A ceux donc qui pourraient être tentés d'embrasser la profession d'ébéniste, et à qui s'adresse cet ouvrage, en guise de conclusion nous faisons connaître ci-après quelles sont les connaissances et aptitudes requises.

 

Connaissances nécessaires à l'exercice de la profession

 

On distingue :

- celles relatives à l'exécution du travail proprement dit, à savoir la connaissance tant théorique que pratique :

- des matières premières, notamment du bois, et de leurs possibilités de mise en oeuvre;

- de l'outillage, de la machinerie, de leur emploi, des procédés de fabrication ;

- des relations entre les points, lignes, surfaces, volumes qui définissent les formes constituant la géométrie ;

- de la représentation conventionnelle des objets ou dessin géométrique ou technique graphique ;

- d'une certaine éducation artistique concernant le mobilier et la décoration des habitations, les différents styles, la

composition décorative ;

- celles ayant trait aux rapports de l'exécutant avec les dirigeants de l'entreprise ou le client et consistant en :

- compréhension des ordres d'exécution que sont les plans et épures définissant le produit à obtenir;

- établissement de la comptabilité sommaire de l'emploi du temps et de la matière d'oeuvre ;

- possibilité de faire l'inventaire des travaux et fournitures nécessités par une réalisation quelconque et d'en chiffrer le coût, c'est-à-dire le devis avant exécution.

 

Aptitudes physiques nécessaires

 

Le métier d'ébéniste exige la station debout et par conséquent une résistance physique suffisante, laquelle doit permettre le déploiement de la force musculaire nécessaire au maniement des outils et à la manipulation de pièces lourdes.

 

Elle réclame une bonne vue, soit normale soit corrigée.

 

Une ouïe normale aide dans certains cas à la conduite du travail (sondage de l'adhérence d'un placage, sonorité d'un bois sain...)

 ligne